— Maître, avec tout ce féminisme, on en arrive à ne plus oser être soi, en tant qu’homme, ni affirmer sa virilité, sa position.

— Je t’invite à envisager que ta virilité, ou le manque de celle-ci, soit un problème antérieur à l’émergence récente du féminisme sur lequel tu t’interroges. Et du fait que tu aies du mal à considérer que tu sois responsable de ton propre problème, il te faut éventuellement un coupable à ce souci de positionnement dit « viril », qui sont deux choses bien différentes.

— Peut-être, qui sait… mais pourquoi tant de féminisme ?

— Ce que tu appelles féminisme, n’est en fait que l’émergence « récente » d’un mouvement éternel, bien plus ancien. Il peut être envisagé sous l’angle sociétal, une émergence résultant d’une souffrance de la position des femmes dans notre société, une accumulation de souffrances individuelles inacceptables, donnant naissance à ce mouvement. Mais c’est bien plus que cela, quand on l’envisage d’un point de vue spirituel, archétypal, symbolique, dont les causes et conséquences sont bien plus profondes. Le monde actuel souffre d’un déséquilibre : hormis le fait qu’une évolution normale soit le produit d’une succession de déséquilibres alternatifs, un rééquilibrage s’impose. Et cette société, dans son sens le plus profond et inconscient, appelle à ce rééquilibrage profond. Tout comme un organisme cherche à se guérir quand il est agressé, et qu’il produit lui-même ses anticorps ou son propre système de défense.
Cette émergence d’un féminisme de plus en plus présent et intense, qui prend sa source dans les cendres des bûchers de la sorcellerie, est le symptôme d’une tentative de « l’inconscient collectif de notre espèce » à guérir le cancer créé par ce déséquilibre patriarcal, nous ayant mené dans une logique guerrière, de surconsommation, et d’intellectualisation au détriment de valeurs indispensables comme la sensibilité, l’amour, la bienveillance. C’est le « féminin sacré » à l’oeuvre.
Il en est ainsi des symptômes de l’anthropocentrisme, et de la dérive masculiniste de notre civilisation. Nous devons re-féminiser le monde. Il est en ceci question de changer de polarité, de rééquilibrer la tendance matérialiste égotique et guerrière, consistant à valoriser l’adversité et la domination sur ce qui nous entoure, sur l’amour et la relation symbiotique avec le vivant, composantes indispensables à notre survie en tant qu’espèce. Il est intéressant de constater la corrélation entre féminisme, renaissance psychédélique, considérations écologiques et spirituelles (au-delà des religions patriarcales), et bientôt, de l’acceptation de la décroissance. C’est l’intelligence spirituelle de notre espèce à l’oeuvre, qui n’est autre qu’une tentative d’auto-guérison de notre espèce par le féminin sacré qui porte en lui le germe de cette guérison de notre monde, gangréné par un virus matérialiste et violent.
Quant à ton problème de virilité, je t’invite à considérer qu’il est le symptôme de ta volonté de soumission à une « dictature » patriarcale encore établie, chancelante, qui se défend tant bien que mal. L’amant viril et dominant nage et barbotte dans ce fleuve de sang, de pression machiste, qui charrie les corps des amoureux transis et des poètes qui s’y sont noyés, que la femme sacrée est entrain de repêcher et de ranimer.

C’est le printemps après l’hiver.
Stephan Schillinger

© extrait du livre « par un Curieux Hasard – Tome 3 ».

Illiustration : Marco Melgrati